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traduction 770
21 septembre 2020

Lorsqu’elle nait en 1938, la Mercedes Typ Großer

 

Lorsqu’elle nait en 1938, la Mercedes Typ Großer W150 est la plus puissante, la plus imposante, et la plus chère des voitures de son époque. Elle aurait pu demeurer dans la mémoire collective comme l'une des plus belles voitures de son temps. Son destin fut tout autre.

Celle qui n’est même plus exposée au Musée Mercedes était pourtant et avant tout une voiture d’ingénieur, une belle automobile, la vitrine d’un savoir-faire, une grande routière, moderne, sûre, puissante et confortable. L’Histoire l’a hélas entrainée dans la tourmente.

1926-1937 : les chemins de l'excellence

L'histoire des Mercedes d'exception commence en juin 1926 lorsque "Daimler Motoren Gesellschaft" (propriétaire de la marque "Mercedes") et "Benz & Cie" fusionnent pour donner naissance à "Daimler-Benz AG". A peine née, la nouvelle marque doit faire face au risque de perdre sa position sur le segment hautement stratégique du haut de gamme. La concurrence affute ses armes, tel Maybach qui prépare une douze cylindres de 150 cv, sa future DS7, quand Mercedes ne dispose que de la 630, une six cylindres déjà obsolète puisque elle n'est qu'une 24/100/140 PS née en 1924 et rebaptisée.

La riposte attendra l'automne 1930 et la présentation d'une nouvelle voiture qui va repousser le standard à un niveau si élevé qu’on ne pourra plus parler de haut de gamme mais de voiture d'exception.

La Großer Typ W07 (1930-1938) : premier pas dans un segment peu exploré

Le jeudi 2 octobre 1930, sous les voûtes du Grand Palais s'ouvre à Paris le 24ème Salon de l'Automobile et du cycle et dans une ambiance euphorique tant la situation économique de la France est excellente au regard de celles des autres grandes nations industrialisées. De l'autre côté du Rhin, il n'en est pas de même. ll n'y a même plus de salon et c'est donc à Paris, plus grande manifestation du genre en Europe, que Mercedes a été contraint de se replier pour dévoiler son nouveau vaisseau amiral. 

(Selon la nouvelle nomenclature interne en vigueur depuis 1926 et encore utilisée de nos jours, elle est désignée comme étant le "Typ W07". Quelques mois avant la commercialisation et afin de bien marquer le positionnement inédit de la nouvelle voiture au sommet de la gamme, les agents de la marque avaient été informés que son appellation commerciale serait "Großer Mercedes" c'est à dire "Grande Mercedes" ou pour les pays anglophones "Super Mercedes".

A Paris donc, Maybach présente sa DS8, encore plus puissante et rapide que la DS7, et dont les 200 chevaux l'entraînent à 170 km/h. Pour autant, chez Mercedes, l'on demeure confiant, quand bien même la W07 ne constitue pas un grand bond en avant ni esthétique, ni technologique.

En effet, la nouvelle venue n'apporte pas de solutions techniques très originales. Chez Daimler-Benz on a préféré jouer la prudence afin de ne pas compromettre une réputation bien assise et s'assurer de la fidélité d'une clientèle plutôt conservatrice qui accepte les évolutions mais pas vraiment les révolutions. Point d'incursions dans des domaines inexplorés donc, mais une attention toute particulière portée à la fiabilité et surtout aux qualités routières. De même la W07 se contente d'un huit cylindres de 7.7 litres alors que la vogue est au douze cylindres, des cylindres surnuméraires par ailleurs parfaitement inutiles dans la mesure où les aptitudes routières et la maniabilité de ces monstres sont obérées par l’archaïsme des solutions techniques. Pour autant la Großer Mercedes est néanmoins la première voiture de série disponible en version suralimentée et dispose en outre d'un tout nouveau système d'allumage à deux bougies par cylindre  assuré conjointement par magnéto à haute tension et batterie.

Dès le départ, la marque entend occuper tous les espaces du segment. Aussi, la W07 est disponible en six variantes différentes de carrosserie: cabriolets B, C, D et F, Pullman Limousine et Offener Tourenwagen.

D’apparence lourde, carrée et sans grâce, la W07 va heureusement bénéficier de l’intérêt de grands couturiers de l’automobile. Quelques chassis seront habillés avec bonheur par des carrossiers tels qu'Erdmann & Rossi, Jos.Neuss, Auer, Reutter, Voll & Ruhrbeck en Allemagne mais aussi à l'étranger chez Rollston aux USA, Castagna en Italie ou Lajos Zupka en Hongrie.  Les commandes plus particulières sont pour leur part traitées au sein du "Sonderwagenbau", l'unité de commandes spéciales de l'usine de Sindelfingen d'où sortiront entre autres les exemplaires destinés à l'Empereur du Japon et à l'ex-Kaiser Guillaume II.

En ces temps difficiles sur le plan politique, la W07 est également disponible en version dite de "haute protection", domaine dans lequel la marque avait déjà fait une incursion avec sa version blindée de la 460 Typ W08. En prenant possession de ses W07, le Tennō Hiro Hito devient le premier chef d'Etat à utiliser un véhicule sécurisé. En Espagne les trois présidents successifs de la république, Niceto Alcalá Zamora, Diego Martínez Barrio et Manuel Azaña, utilisent une Großer Mercedes blindée commandée en 1935, lors du Salon de l'automobile de Barcelone et c'est à son bord que les deux derniers gagneront la France peu avant la défaite de la République, le 5 février 1939. Auparavant, Azaña l'aura utilisée plusieurs fois pour faire le tour du front à Valence, en Castille et en Catalogne. Au Portugal, les présidents de la République et du Conseil, le général Oscar Carmona et le Professeur Oliveira Salazar disposent de deux W07 blindées de 1938.  L’austère Salazar, qui n'avait pas été consulté sur l'achat de ces voitures, a rapidement exprimé son mécontentement, refusant d'utiliser la Mercedes qui lui avait été donnée, non seulement parce qu'il estimait que c'était une voiture ostentatoire, mais aussi parce que le bruit courait qu'il s'agissait d'un cadeau personnel de Hitler.

L'accueil réservé à la W07 par la presse spécialisée d'Outre-Rhin est enthousiaste. "Motor und Sport" souligne "que sa  vitesse de pointe est comparable à celle d'un bolide de course "ajoutant "qu’ alors qu'il serait imprudent de dépasser le 70km/h avec d'autres voitures de la même catégorie, avec cette Mercedes il n'y a plus aucunes limites. Nous ne connaissons aucune automobile qui permette de conduire à un tel niveau de sécurité, à des vitesses à vous couper le souffle et dans un confort exceptionnel. C'est  là toute la justification de l'existence d'une telle voiture. Il s'agit à notre sens pour Daimler-Benz, de l'illustration de ce que l'on peut réaliser de mieux avec les moyens d'aujourd'hui".

Quant au rédacteur en chef de "l'Allgemeine Zeitung" il n'hésite pas à écrire "qu'avec ce modèle l'industrie automobile allemande retrouve la place qui était la sienne, au plus haut niveau et à l'avant-garde de ce segment très exclusif dans lequel elle excelle depuis les débuts de l'automobile". Le ton est donné : onze ans après l'humiliation du traité de Versailles, la grande Allemagne est de retour !

L’année 1938 marque la fin de production de la W07 dont au fil du temps, les lignes se sont faites moins austères et plus plaisantes. Avec 119 exemplaires seulement, on pouvait néanmoins estimer que le pari de Mercedes avait été gagné. Adoptée par les grands noms de la politique, de l’industrie et du spectacle, la marque était désormais solidement installée au premier rang des fabricants des voitures de représentation, place qu'elle détient encore de nos jours. Des "temps nouveaux" s'annonçaient et pas seulement au niveau politique...

Les années trente : une nouvelle donne pour l'automobile.

Le milieu des années trente marque un tournant dans l'histoire de l'automobile. Les carrosseries issues de la tradition des voitures hippomobiles commencent à s'effacer  sous l’effet du « streamlining »,  ce courant esthétique né  aux USA et inspiré des principes aérodynamiques. Les formes s’arrondissent, l’arrière est tronqué, la voiture est plus basse, plus longue, plus effilée, plus homogène. La Chrysler Airflow de 1934 des ingénieurs Carl Breer, Fred M. Zeder, et Owen R. Skelton en est l’archétype. La même année, Citroën crée l’événement avec sa 7 aux lignes inusitées et dans laquelle,  se trouvent réunies, pour la première fois, les  solutions techniques les plus modernes de l'époque. Traction avant, structure monocoque, freins hydrauliques, et suspension à roues indépendantes sur les quatre roues, lui confèrent des qualités routières exceptionnelles  sans égales en grande série, voire dans le segment supérieur.

L’automobile de luxe ne peut rester en retrait. Il lui faut trouver un équilibre subtil entre modernité et affirmation du statut social.  De fait, la ligne de la voiture se doit d'être sculpturale et aérodynamique, allier tradition et modernité tout en conservant une dignité héritée du passé.

Chez Daimler-Benz AG on est d'autant plus conscient de la nécessiter d'aller de l'avant, que de la part des milieux industriels et  gouvernementaux s'exercent "d'amicales pressions" pour obtenir des véhicules dont l'apparence et la technologie constituerait une sorte de vitrine de la puissance de l'Allemagne nouvelle. En d’autres termes, la W07 née en 1930 ne répond plus à ces exigences, pas plus d'ailleurs que la 500 "Nürburg" dont la conception remonte à plus de dix ans. De fait la décision est prise : la W07 aura une descendance.

Néanmoins, et c'est là un paradoxe, alors que partout en Europe et notamment en France, les constructeurs de voiture de prestige sont à l'agonie fussent-ils illustres comme Bugatti ou Hispano-Suiza, l'optimisme règne à Stuttgart. La force de Mercedes est d'être un constructeur généraliste qui dispose d'une gamme étoffée couvrant tous les segments, produit des poids-lourds, des véhicules de transports en commun, des moteurs marins et pour avions, vend ses brevets et ne se fixe aucune limite en terme de recherche et de développement. La marque en tire profits conséquents qui l'autorisent à investir dans des produits exclusifs sans considération de coûts. Tel n'est pas le cas de la pléthore de petites marques qui se livrent une concurrence féroce et tentent de vendre des produits obsolètes et surannés en comptant sur une réputation hélas gangrenée par la montée en puissance de la grande série.  A défaut d'avoir recherché des alliances pour mettre en commun leurs innovations et asseoir leur rentabilité en maîtrisant les coûts, elles disparaitront rapidement du paysage automobile.

En 1934, la gamme Mercedes est pléthorique. Elle comprend douze modèles à quatre, six et huit cylindres, suralimentés ou non, avec moteur à l’avant ou à l’arrière, et un grand nombre de châssis et de systèmes de liaison au sol, sans compter une multitude de pièces d’accastillage. De fait, les bureaux d’études sont en tension permanente en raison du nombre de projets menés simultanément et de la complexité de la chaîne logistique. On est bien loin de l’organisation retenue aux Etats Unis où une équipe projet  puise dans une banque d’organes, ce  qui permet de proposer une gamme étendue à moindre coût. C’est sur ce constat que Daimler-Benz s’engage dans la voie de la rationalisation, via le projet W24 qui consiste à remplacer simultanément la W07 et la 500 "Nürburg" par un seul et même modèle

La 540k Lang Typ W24 expérimentale: la préfiguratrice

C’est au cours des années 1934 et 1935 que la W24 fut développée sur la base de la 540k "Typ W29", dont l’empattement était porté à 3,88 mètres contre 3.29 mètres. Cette voiture, construite à six exemplaires, qui ne figure pas dans la nomenclature officielle de la marque et dont on sait peu de choses, faisait appel à un huit cylindres suralimenté de 5.4 litres de cylindrée développant respectivement 115 chevaux et jusqu’à 180 chevaux compresseur enclenché, pour une vitesse de pointe de 140 km/h. Ses dimensions, 6000 x 2070 x 1800mm, lui donnaient une silhouette bien plus élégante que sa devancière et un espace intérieur sensiblement agrandi au profit des 6 ou 7 passagers qu’elle était censée accueillir. Avec un centre de gravité abaissé de 150 mm, une suspension à barre antiroulis, une boite de vitesse améliorée, ses qualités routières, confort et tenue de route étaient incontestablement en progrès. Du moins, était-ce les points que la marque souhaitait mettre en avant lorsqu’en avril 1936, elle se fendit d’un courrier en direction de la Chancellerie du Reich et dans lequel elle détaillait tous les avantages de la nouvelle voiture, avantages qui, pur hasard sans doute, incluaient un étagement de boite de vitesses se prêtant aux routes sinueuses menant à l’Obersalzberg…

Cette voiture dut beaucoup à un jeune ingénieur du nom de Hans Gustav Röhr. Quand bien même ce dernier ait apporté sa réputation et une expérience considérable, il échouera dans toutes ses tentatives à faire reconnaître par les caciques de Stuttgart, les mérites de ses conceptions avancées. Tout cela influa sur le développement de la W24 qui au final fut un véhicule de transition  oscillant entre tradition et modernité. Le châssis quoique surbaissé était de conception très traditionnelle, tout comme le train avant constitué d’un essieu rigide et de ressort semi-elliptiques. Si Röhr parvint à imposer un essieu arrière moderne de type DeDion et une suspension par  ressorts hélicoïdaux, ce ne fût pas suffisant pour donner à la W24 autre chose qu’un statut provisoire. Néanmoins, une W24  portant le numéro d’immatriculation IA-103708,  fut utilisée par Adolf Hitler de novembre 1936 jusqu’au printemps 1938 avant de céder sa place à une W150 de présérie.

A  moins que l’une d’entre elles ne ressurgisse des réserves secrètes de Daimler-Benz, aucune  W24 n’est réapparu depuis 1939 et leur sort demeure un mystère.

1938 : W150 : la Grosser ultime ou le sommet de l'art

Au milieu de l’année 1936, le projet W24 abandonnée. Il faut faire vite pour donner un successeur à la W07 et la marque va donner un exemple extraordinaire de réactivité. Alors qu’en général plusieurs années sont nécessaires entre la décision et la mise en production, Daimler-Benz AG va accomplir le tour de force de présenter son nouveau vaisseau amiral en moins de deux ans grâce à  la motivation et la créativité des personnes impliquées dans le projet, mais aussi à la souplesse qu’apporte cette structure dédiée qu’est le Sonderwagenbau, une unité indépendante de la ligne de production créée en 1932 par le directeur général de l’usine de Sindelfingen, Wilhelm Haspel, exclusivement dédiée aux commandes spéciales  et dirigée par Hermann Ahrens.

Ahrens qui concevra ou supervisera la conception de nombre de modèles restés dans les mémoires comme les 380 (W 22), 500 K (W 29), 540 K (W 29 et W 24), Grosser Mercedes (W 07 et W 150), G 4 (W 31), et 600 (W 148 et W 157), mettra également en place ce que l’on appelle aujourd’hui une « démarche client » avec pour objectif que chaque voiture soit un modèle unique et parfaitement en harmonie avec les attentes et besoins de l’acheteur.

Auprès d’Hermann Ahrens, un autre collaborateur va jouer un rôle des plus importants. Friedrich Geiger, l’artiste, qui avait appris d’abord le métier de charpentier avant de faire un apprentissage en carrosserie. Entré chez Daimler-Benz en avril 1933 il va déployer de façon remarquable son double talent de technicien et d'esthète, notamment en réussissant à habiller de façon élégante et proportionnées les versions blindées de la W150. Bon nombre de ses créations deviendront  des références au fil du temps comme le Spezial-Roadster 500k/540k de 1934 et bien plus tard la légendaire 300 SL.

Max Wagner, quant à lui était l’homme des châssis, amenant avec lui l’expérience acquise lors de la conception des Flèches d’Argent Typ W25. Or le premier défi de l’équipe-projet est justement de concevoir un châssis moderne pour la nouvelle Grosser et pour cela, Wagner, qui travaille sur la structure de la future Flèche d’Argent Typ W125 de 1937 et a conçu un original châssis en acier molybdène-nickel-chrome à tubes ovales, va mettre à profit son expérience.  En cela il va se montrer précurseur. En effet, appliquer la technique issue de la compétition est aujourd’hui la règle, même pour concevoir une banale voiture de série.

Sous la houlette de Max Sailer, ancien pilote de course à la tête du bureau d'études et du service des essais, toutes les conditions semblent donc réunies pour accoucher d’un chef d’œuvre. D’autant que chez Mercedes l’on dispose déjà d’avancées technologiques majeures comme la suspension à roues indépendantes. à bras trapézoïdaux et ressorts hélicoïdaux dont ne dispose même pas l’industrie automobile américaine.

De fait la W150 dispose d'un châssis en tubes ovales minces dont la rigidité élevée combinée à un faible poids et à une suspension à ressorts hélicoïdaux, roues indépendantes à l’avant et essieu de Dion à l’arrière, présagent d'exceptionnelles qualités routières.

Si non seulement la conception du châssis et des trains roulants fait toute la différence avec la W07, c’est l’accroissement des dimensions qui caractérise également la W150. L'empattement augmente de 130 mm, les voies avant et arrière respectivement de 100 millimètres et 150 millimètres et la longueur hors tout de 400 millimètres. Sous la direction d’Hermann Ahrens, les ingénieurs conçoivent une carrosserie légère et spacieuse déclinée en plusieurs variantes. La nouvelle voiture offre une silhouette étirée, surbaissée et équilibrée, bien plus élégante que celle de sa devancière. Néanmoins, ce n’est pas sans incidence sur le poids du véhicule. Quand la W07 atteignait 2700 kg, la W150 pèse de 3400 kg à 3900 kg, et atteindra jusqu’à 4320 kg pour les versions blindées.

Naturellement  la puissance du moteur est augmentée  de 5 ch (3,7 kW) et  de 30 ch (22 kW) lorsque  le compresseur Roots entre en action. La puissance totale atteint respectivement 155 ch (114 kW), et 230 ch (169 kW). Il est à noter que les axes des soupapes d'échappement sont traités au sodium pour éviter la surchauffe et assurer un meilleur refroidissement. Ainsi motorisée la nouvelle voiture atteint une vitesse de pointe de 170km/h ce qui constitue un record pour cette catégorie de véhicule. Toutefois, sur les versions blindées, une signalétique apposée sur le tableau de bord, invite le chauffeur à ne pas dépasser les  80km/h en raison des limites imposées par les pneumatiques increvables à 20 chambres de marque Continental.

La transmission à trois vitesses avec overdrive de la w07 est remplacée par une transmission à quatre vitesses avec un overdrive Maybach qui sera suivie plus tard d’une vraie boîte à cinq vitesses totalement Mercedes. La  capacité du réservoir d’essence est portée à 195 litres plus une réserve de 20 litres contre 120 pour la W07.

Lancée pour l’IAMA 1938, la W150 s’annonce comme un succès commercial prometteur. Néanmoins, lorsque la guerre éclate au mois de septembre 1939 peu de voitures ont été livrées aux clients civils. De fait, elle sera presque exclusivement produite pour le Gouvernement du Reich et ses alliés.

L’excellence avait un prix !  Il fallait compter 30 000 Reichsmark (214 500 euros) pour un châssis nu, 44 000 RM (314 600 euros) pour une Pullman Limousine, 46000 RM (328 900 euros) pour le cabriolet D, et 47500 RM (339 625 euros) pour le cabriolet F. Quant au cabriolet B et surtout les versions blindées le prix est demeuré inconnu à ce jour, mais on peut penser qu’il était astronomique… (1RM de 1938 vaut 7,15€ de 2019)

Une voiture à la carte

Bien évidemment la nouvelle venue, comme son aînée,  se décline en multiples variantes de carrosserie : cabriolet D (4 portes, 4 glaces) cabriolet F (4 portes, six glaces, 5/6 places), Offener Tourenwagen (4 portes, ouverte, 7/8 places), et Pullman Limousine (4 portes, six glaces) ; ceci pour l’offre destinée à la clientèle privée, car les versions gouvernementales présentent des spécificités.

La version Offener Tourenwagen est la plus spartiate : tableau de bord peint, vide-poches ouverts, demi-cloison de séparation, capote sans compas de style torpédo… et absence de vitres latérales.

Le cabriolet F qui peut être considéré comme une voiture de maître se remarque à sa capote munie de compas extérieurs dont la cinématique très sophistiqué permet un capotage/décapotage soit complet soit partiel comme un coupé de ville. Son équipement est particulièrement élaboré : séparation chauffeur à glace descendante et espaces de rangement, couvercles de boite à gants, luxe de ses aménagements tant dans le choix du garnissage intérieur que par les boiseries qui ornent le tableau de bord et la cloison de séparation. Son alter ego, la Pullman limousine dispose pour sa part d’une carrosserie fermée entièrement métallique. Quand au cabriolet D qui reprend les aménagements luxueux du cabriolet F, c’est plutôt  la voiture que conduit son propriétaire. Visuellement plus court que les autres versions, il est pourtant construit sur le même empattement et dispose de fait d’un coffre à bagages d’un volume plus important.

Contrairement à sa devancière, aucun châssis W150 ne sera habillé par un carrossier extérieur. Toutes les voitures seront produites à Sindelfingen, au sein du « Sonderwagenbau » et selon des méthodes artisanales.  Le Sonderwagenbau produira également des versions blindées. On notera qu'en avance pour l'époque, des glaces teintées en vert sont proposées, de même qu’un poste radio Becker.

Au cours de sa brève carrière, la W150 ne connaîtra que peu d’évolutions esthétiques. Les modèles de présérie se reconnaissent aux grands phares Zeiss, aux pare-chocs à deux lames hérités de la W07 et à  l'absence de couvercle de coffre. A partir du neuvième châssis les phares de marque Bosch de plus faible diamètre mais plus efficients remplacent les Zeiss, la voiture est dotée de nouveau pare-chocs chromés garnis de caoutchouc fixés sur des supports verticaux eux mêmes chromés, ainsi que d'une porte de malle. Sur les Pullman Limousine, les spats qui recouvrent les roues arrière disparaissent. Néanmoins, d'une voiture à l'autre, des détails de carrosserie pouvaient varier, comme l’apparence des ailes avant et la forme du marchepied.

Côté mécanique, le complexe système de carburation s'avère insatisfaisant et il connaîtra quatre modifications d'importance entre 1938 et 1943 avant de s'avérer fiable. Enfin à partir de 1942, l’orifice destiné à la manivelle disparaît de la calandre.

 L'accueil de la presse

Comme indiqué précédemment, la nouvelle Großer a des performances exceptionnelles comme le souligne la revue automobile britannique « The Motor » dans son numéro du 23 mai 1939: "le quart de mile (400m)  départ arrêté est abattu en 21 secondes,  le zéro à 50 mph (80 km/h)  est atteint en 12,2 secondes. La mise en marche du compresseur sur 400m  a augmenté la vitesse de 75 mph (120 km/h) à 87 mph (139 km/h). Sur ce même quart de mile, le véhicule a atteint 100 mph [160 km / h] en accélérant sans effort et avec quatre personnes à bord, sur la ligne droite du circuit de Brooklands. La vitesse de pointe obtenue, 108 mph [173 km / h] est réellement étonnante pour une berline de huit places pesant près de trois tonnes

Bien plus tard, en avril 1965, Didier Charvet de l'Auto-Journal qui a eu le privilège d'essayer la voiture conservée au Musée Henri Malartre, livre avec enthousiasme ses impressions de conduite: "L’on est très bien au volant mais nous avouons que nous appréhendions les réactions de ce monstre de près de cinq tonnes. Au départ, nous sommes un peu déçu : la voiture semble manquer de puissance. Nous apprécions cependant la douceur de l’embrayage et la parfaite maniabilité de la boite de vitesses. Tous les rapports se passent du bout des doigts. Après une dizaine de kilomètres, moteur chaud, appréhensions oubliées, nous faisons vraiment connaissance avec cette Mercedes. Si l’on n’éprouve aucune impression particulière de puissance, on s’aperçoit vite, par comparaison avec les autres voitures, que les accélérations sont  en réalité, brillantes.  On oublie que l'engin est blindé! Nous ne sommes pas montés à plus de 130 car l’âge des pneus d’origine nous l’interdisait et le compresseur ne fonctionnait pratiquement pas. Toutefois nos essais nous ont permis de nous faire une idée de l’effet que l’on devait ressentir  lorsque la voiture bondissait à plus de 200 à l’heure! Nous avons emprunté de petites routes sinueuses et c’est là  que notre surprise fut la plus grande. Le poids ne comptait pas et ce monstre de six mètres se manie aussi aisément qu’une Renault Dauphine ! Le confort est exceptionnel. La caisse ne bouge absolument  pas, et il faut vraiment de très mauvais pavés pour ressentir les vibrations.  La consommation est également étonnante. Plus de 50 litres aux 100! La température extérieure assez basse, nous a permis d’apprécier un chauffage d’une efficacité assez rare…" Ainsi malgré les progrès accomplis par l’automobile en vingt cinq ans, la W150 restait à un niveau que peu de voitures des années soixante était en mesure d’atteindre.

L’unique Cabriolet B

De ligne majestueuse et élégante, elle aurait été commandée spécialement pour l'héritier du trône de Perse, Mohammed Reza Pahlavi, futur Shah d'Iran, tout juste 19 ans à l'époque. L’on sait qu'Hitler avait une tendance à servir ses propres intérêts en offrant une voiture à quiconque était en mesure de les satisfaire. Geste politique dans le but d'assurer un approvisionnement en pétrole iranien, précieux combustible qui manquait tant à l'Allemagne ? Signe de reconnaissance en direction de la cour de Perse  après qu'elle ait confié à des entreprises allemandes (comme Ferrostaal AG) le soin de  développer ses infrastructures via d'importantes commandes? Nous ne le saurons probablement jamais.

Les versions gouvernementales

La majorité des W150 produites pour le Gouvernement étaient découvrables. Elles alliaient l’apparence extérieure du Cabriolet F, sans les compas extérieurs de capote toutefois, et la finition plus austère de l’Offener Tourenwagen. Elles se caractérisaient par la présence d’un  phare rouge clignotant à la gauche du chauffeur et d’un phare chercheur côté passager.

Les modèles destinés à la protection rapprochée des dirigeants quant à elles étaient de type torpédo sans glaces latérales, avec poignées de portes intégrée à "tirette" insérées dans un cuvelage, des lanternes proéminentes de W07 à la cime des ailes (permettant de mieux appréhender l’encombrement de la voiture en convoi de nuit), et l'absence de caches pour les roues de secours.

Les W150 blindées

Comme sa devancière, une version dite "de haute protection" est disponible. Mais contrairement aux W07 qui s'étaient exportées, les W150 blindées ne furent produites, à compter de 1939,  que pour le seul Gouvernement et quelques dirigeants alliés de l’Allemagne. En effet, c'est sur l'insistance particulière de son chauffeur, Erich Kempka, qu’Hitler jusque là totalement opposé à cette idée, s'était finalement résolu à accepter un véhicule blindé. L'attentat du 8 novembre 1939 au Bürgerbräukeller de Munich n'étant sans doute pas étranger à ce revirement.

Sur ces modèles, le blindage périphérique et du plancher était assuré par des plaques d'acier de 2mm d'épaisseur. Les glaces quant à elle présentaient une épaisseur de 30mm. Plus lourde de 400kg, la voiture pouvait résister au tir d’un Mauser 8,20 à dix mètres.

Une étape supplémentaire sera franchie avec le Plan Aktion P (P pour "panzerung" qui veut dire blindage) en juin 1942 consécutivement à l'attentat perpétré à Prague contre l'adjoint de Himmler, Reinhard Heydrich, qui fut mortellement blessé. Au gré de l'augmentation de la menace, certaines versions sont dotées de glaces de 40mm d'épaisseur, d'un plancher renforcé de plaques de 5.5mm jusqu'à 8.8 mm, d'un blindage périphérique de 3 à 3.3mm. Sur les versions décapotables est installé un pare-nuque en plaque d'acier de 3.3mm et la glace de custode de 40mm d’épaisseur, est allongée. Néanmoins, cette protection présente une limite et non des moindres : elle est quasi inefficace lorsque la capote est baissée. Il est à noter que dans le cadre d'Aktion P, certaines voitures gouvernementales déjà en circulation revinrent à l'usine pour être transformées.

Le marchepied est modifié de manière à ce qu'un éventuel assaillant ne puisse y grimper. Un épais encadrement chromé ceint le vitrage, encadrement que l’on retrouvera près de trois décennies plus tard sur la 600 W100. Les portes disposent d’un verrouillage électromagnétique et les roues de secours servent elles-mêmes de plaques de blindage. Ainsi gréé, le poids de la voiture s'accroît de près d'une tonne et pour tenter d'en compenser les effets négatifs, les ailes sont en alliage léger.

Extérieurement les voitures Aktion P présentent quelques différences visuelles notables. Si l'empattement, 3.88m,  et la longueur, 6 mètres, demeurent inchangés, les voies avant et arrière augmentent de 30mm de même que la largeur hors tout qui atteint 2.10 mètres. La hauteur est portée à 1.90m soit 10 cm supplémentaires. Des fentes externes supplémentaires reliées au dispositif de chauffage,  apparaissent à la base du pare-brise pour assurer dégivrage et désembuage, le dispositif classique n’étant en effet pas adapté à l’exceptionnelle épaisseur du vitrage armé. Les portes sont soutenues par trois charnières courtes au lieu de deux longues. La glace de custode est allongée et recouverte partiellement par la capote. Cette dernière plus volumineuse est en forme de casquette à l'arrière au lieu d'être arrondie. Cette verticalité résulte de l'installation au dos de la banquette arrière d'un pare-nuque en acier blindé de 30 mm qui peut être relevé ou abaissé depuis le poste de conduite. Il comporte deux extensions latérales à la façon d'une bergère à oreilles Louis XV. Sur les Pullman Limousine, le toit est lui-même renforcé par des plaques de 3mm  et surélevé et la hauteur des vitres latérales est augmentée.

Mais c'est avec la version Innenlenker Limousine que la protection atteint son paroxysme. Cette conduite intérieure dotée d'une séparation chauffeur et proposée dans une exécution extrêmement luxueuse, est une vraie forteresse roulante. Glaces de 40mm, plancher de 8.3 à 8.8mm, et blindage périphérique et du toit de 3 à 3.3mm assurent une protection maximale. La lunette arrière réduite à sa plus simple expression peut être occultée depuis le poste de conduite. Les roues pèsent une centaine de kilos et deux hommes sont nécessaires pour manipuler chacune d'elle. Placée dans le coffre, la roue de secours est installée sur un support qui permet de l'extraire sans effort pour la poser sur le sol. La Innenlenker Limousine sera utilisée entre autres par Goering pour tenter de fuir au printemps 1945, par Himmler, certaines personnalités telles que les Commissaires du Reich en territoires occupés, ainsi que par l'espagnol Franco et le norvégien Quisling.

Selon un cahier des charges exhumé par la marque dans les années soixante, il avait été envisagé de produire une variante encore plus performante dénommée « W150 II » munie de deux carburateurs portant la puissance à 400cv au régime de 4000 tours/minute  pour une vitesse de pointe de 180km/h. Des performances époustouflantes pour un engin de 5.47 tonnes équipé d'un réservoir de 300 litres! Ce projet demeura sans suite.

La voiture du Reich et de ses complices

"L'automobile m'a donné l'Allemagne" disait Hitler tant il est vrai, comme l'a rapporté plus tard Kempka son chauffeur, que durant sa marche vers le pouvoir, il effectuait jusqu'à 100 000 kilomètres par an, distance faramineuse pour l'époque. Dès 1923, il ne roule que Mercedes depuis que l'agent de la marque à Münich, un certain Jakob Werlin, l'a convaincu de troquer sa Selve 20cv contre une Mercedes 28/95, qui sera suivi par une 15/70/100 (Typ 400) en 1929. En décembre 1931, Hitler jure fidélité éternelle à la marque estimant que c'est sa Mercedes qui vient de lui sauver la vie à l'issue d'un accident, et dès son accession au pouvoir on le verra souvent dans des W07 immatriculée IIA-19357 et IIA-19356. De 1936 à 1938 et jusqu’à la sortie de la W150, il dispose d'une des W24 expérimentales, immatriculée IA-103708.

Le 18 février 1938 tout un aréopage de personnalités se presse pour l'inauguration de I’ Internationale Automobil- und Motorrad-Ausstellung (IAMA) de Berlin, en présence du Führer  qui une fois son allocution prononcée se dirige vers le stand Mercedes où l'attendent Wilhelm Kissel, le Directeur de Daimler-Benz AG, Max Sailer, Directeur technique de la Daimler-Werke. et un Jakob Werlin devenu par protection membre du conseil d'administration de la firme. Aux côtés du châssis sur lequel Hitler se penche avec intérêt, on a amené le futur char de l'Etat, un Offener Tourenwagen,  qui dès la cérémonie terminée regagnera l'atelier pour être terminé.

Dès lors, les neuf W150 que le dictateur utilisera jusqu'à sa chute seront de toutes les cérémonies comme en témoigne les abondantes archives photographiques et cinématographiques de cette période.

La belle Mercedes devient alors un des instruments de la propagande orchestrée par Joseph Goebbels, lequel ne laisse rien au hasard. « Le cortège quitte la Chancellerie dans un vrombissement de moteurs » est il écrit dans un document d’organisation…

Hitler n’est pas en reste. Il savoure le décorum des parades, car passionné d’histoire antique, il n’est pas sans méconnaître le rituel du triomphe, cette cérémonie romaine au cours de laquelle un général vainqueur défilait dans Rome à la tête de ses troupes, juché sur le char triomphal tiré par quatre chevaux et sous les acclamations de la foule. 

Contrairement aux idées reçues, Hitler ne fut jamais propriétaire en titre des véhicules. Administrativement, la commande était passée à Daimler-Benz AG au nom du "Führer et Chancelier du Reich" par son secrétariat particulier sur prescription d'Erich Kempka, chauffeur du dictateur et responsable de la quarantaine de voitures qui constituait la flotte automobile gouvernementale. Seul ce dernier et non Himmler ou Bormann comme on a pu le lire, définissait les spécifications et contrôlait de bout en bout l'exécution de la commande jusqu'à la livraison tant pour les voitures gouvernementales que pour celles offertes par le dictateur à certains dirigeants étrangers.

Les deux premières seront des exemplaires de présérie respectivement immatriculées IA-148764 et IA-148768. Le 20 avril 1939, jour du 50ème anniversaire du dictateur, une troisième, immatriculée IA-148485 rejoint la flotte de la Chancellerie. Le 6 juillet 1940, lors de la mémorable parade faisant suite à la victoire sur la France, le dictateur fait son entrée à Berlin à bord d'un exemplaire de présérie à plaque IA-148461. Deux jours plus tard, le 8 juillet 1940, la Chancellerie du Reich reçoit une nouvelle voiture, blindée cette fois-ci, commandée à Daimler-Benz le 3 novembre 1939 et immatriculée IA-148697. Cette même année 1940, on verra Hitler à Munich dans une autre w150 immatriculée IA-148655. Si au coeur de la guerre le Führer circulera plus souvent en G4, trois autres Offener Tourenwagen assureront son service. Ces dernières ne sont pas immatriculées à Berlin (préfixe IA) mais en Haute Bavière (préfixe IIB) : IIB-215190, IIB-215289 et IIB-215043. Ces neuf voitures, toujours carrossées en Offener Tourenwagen, et dans lesquelles le maître du Reich était invariablement installé aux côtés du chauffeur, présentaient toutes les mêmes aménagements spécifiques. Pour lui permettre d'être vu et de se tenir debout commodément, le siège avant droit disposait d'une  assise surélevée de 13 cm et rabattable, d’un piédestal pour assurer la planéité de la fosse  passager, et une poignée de maintien situé en haut du pare-brise. Debout dans la Mercedes, Hitler culminait ainsi à près de deux mètres cinquante ! Une dixième voiture, une Pullman Limousine fermée et blindée peut être ajoutée à la liste. Immatriculée IA-148696 elle véhicula notamment Hitler et l'Amiral Horthy lors de l'entrevue de Salzbourg, au palais Klessheim, le 15 mars 1944.

Goering disposa également d'une Großer Mercedes dont le luxe des aménagements contrastait avec le caractère relativement spartiate des voitures du dictateur : cuir clair pleine fleur, tableau de bord en marqueterie, armoiries personnelles du Reichsmarschall peintes sur les portes arrière.  Il s'agissait d'un cabriolet D, immatriculé IA-125521 peint d'abord dans le bleu irisé cher au gros Maréchal avant d'adopter une peinture de camouflage. On a récemment retrouvé une note manuscrite dans laquelle Goering fait part de ses désirs (ordres…) quant aux spécifications de sa voiture.

Deux Offener Tourenwagen respectivement immatriculés IA-111 et IA-611 furent attribuées à Goebbels et Ribbentrop, tandis que d'autres dignitaires comme Hess et Ley ainsi que les Commissaires du Reich dans les territoires occupés se virent dotés de ces splendides voitures.

Dès le déclenchement de la guerre, les Großer Mercedes gouvernementales arborèrent un phare Notek, système de marche de nuit servant à l'éclairage des véhicules devant circuler dans un contexte de couvre-feu ou de défense passive, situations dans lesquelles les voitures devaient pouvoir se déplacer sans attirer sur eux le feu ennemi,  ou éviter de se faire repérer, depuis le sol ou par les aéronefs. En outre les phares étaient occultés à l'aide de manchons textiles

D'autres W150 furent commandées pour des dirigeants étrangers amis du Reich, tel entre autres le croate Ante Pavelic ou le Maréchal finlandais Mannerheim qui se virent tout deux remerciés pour la contribution de leurs pays à l'invasion allemande de l'Union soviétique. En Espagne, une Pullman Limousine et une Innenlenker Limousine s'ajoutèrent au G4 que Franco avait reçu en cadeau de Hitler. Le 12 juillet 1942, le Président de ce que l'on appelait alors "Protectorat de Bohême et de Moravie", Emil Hacha, qui fête ce jour-là son soixante-dixième anniversaire, reçoit le présent du Führer, une 770 W150 en version Pullman Limousine. Comme il se doit, ce présent a pour objet de "récompenser" le Président pour les services rendus au Reich, services par ailleurs quelque peu contraints... Le Président turc İsmet İnönü et son homologue irakien Choukri al-Kouatli profiteront également des largesses intéressées d'Adolf Hitler, tout comme le roumain Antonescu et bien d’autres encore.

Une production des plus confidentielles

Sur les 117 exemplaires envisagés seuls 88 exemplaires  auront été produits lorsque les hostilités prennent fin : le châssis nu de l’IAMA 1938, un cabriolet B, cinq cabriolet D, sept cabriolet F, quarante-six Offener Tourenwagen dont certains blindés, dix Innenlenker Limousine toutes blindées, et dix huit Pullman Limousine dont quelques voitures blindées.

La production qui s'étale de l'automne 1937 au printemps 1944 commence avec 8 exemplaires de présérie (N° 189737 à 189744) suivi d'une série de 25 exemplaires (N° 189774 à 189798). Quatre commandes ne seront pas honorées (N° 397364 à 397367). Viendront ensuite 50 autres exemplaires dont 25 produits (N° 429311 à 429335) et 25 annulés (N° 439408 à 439432). La dernière série, trente exemplaires, porte une nouvelle numérotation: 150006/0001 à 150006/0030.  La commande du Gouvernement en date du 17 septembre 1943 pour dix W150 supplémentaires (Offener Tourenwagen et Pullman Limousine) ne fut semble-t'il jamais honorée. Dans le détail, 13 exemplaires furent construits en 1938, 44 en 1939, un seul en 1940, un également en 1941, suivi de dix voitures en 1942 et des 19 dernières en 1943. Ces chiffres sont néanmoins à relativiser car le millésime Mercedes de l'époque correspond à l'année de fabrication du châssis et non à l'année d'achèvement du véhicule complet. A titre d'exemples, la voiture commandée et livrée en 1941 au Maréchal finlandais Mannerheim fût produite sur un châssis 1939, et la dernière W150 de 1943 a été fabriqué et livrée en 1944.

Les survivantes

Que ce soit dans les décombres du garage de la Chancellerie ou dans ce qui restait de l’usine de Sindelfingen, nombre de W150 ont été détruites durant la guerre. La Offener Tourenwagen de Seyss-Inquart a été démantelé en 1955 après avoir servi à la couronne des Pays-Bas, tout comme paraît il la Innenlenker du traître norvégien Quisling. Récemment les débris d’un Tourenwagen ont été retrouvés au bord de la Vistule et quelques voitures en trop mauvais état ont servi de banque d’organes pour d’autres Großer Mercedes.

Néanmoins, une trentaine de W150 sont parvenues jusqu'à nous. Le chiffre de 35% de survivantes est d'autant plus remarquable qu'à titre de comparatif, en France, seules ont survécu trois Renault Reinastella sur les 405 produites soit 0.75%. Néanmoins, pourrait-on en dire autant si la Großer Mercedes n'était pas si intensément connoté historiquement? Mises à l'abri par des nostalgiques ou prises de guerre pour les Alliés, leur valeur symbolique les a sauvées de la rouille et de l'oubli parfois au prix d’un destin extraordinaire comme la voiture du dictateur croate Pavelic. Saisi par l’Armée Rouge, ce Tourenwagen dont Staline ne voulut pas, servit un  temps au dirigeant du Parti Communiste d’Outzbekistan avant d’être transformé en utilitaire pour transporter des citrouilles sur les marchés ! Ce fut un miracle que le propriétaire d’un musée privé moscovite la récupère avant destruction et entame (depuis 14 ans !) ce qui est plus une longue reconstruction qu’une restauration.

Tout le monde ou peu s’en faut affirme détenir la Mercedes d'Hitler...Il en est des W150 comme du chapeau de Napoléon pour lequel des sommes astronomiques sont demandées lors des ventes aux enchères au prétexte que le vendeur a l'intime conviction que le dit couvre-chef est celui de l'Empereur! Pour l'heure, on ne connaît que trois W150 survivantes dont on peut affirmer avec certitude qu'elles ont effectivement été utilisées par le Führer. C'est bien peu mais plus que les seules encore existantes des très rares voitures vendues à des clients privés comme Gustav Krupp, l’avionneur Heinkel ou la Couronne suédoise.

Des 88 exemplaires produits subsistent le sublime cabriolet B, un cabriolet D, trois cabriolets F, quatorze Offener Tourenwagen, six Pullman Limousine, et cinq Innenlenker Limousine, plus un cabriolet F "massacré" dans les années cinquante après être passé dans les ateliers du carrossier tchèque Karosa.

Aux mains de collectionneurs privés ou de musées, aux USA, ex-URSS, Allemagne, Espagne, Jordanie,  jusqu'en Nouvelle-Zélande et même en France, la plupart sont en excellent état de conservation ou ont bénéficié de restaurations soignées chez Mercedes-Benz Classic ou Fahrzeugrestaurierung Rosenow. Toutes sont authentiques comme en témoignent les "Zertifikate" délivrés par le constructeur.  Je me hasarderai à affirmer que j'ai la certitude que la liste n'est pas close. Récemment encore deux voitures ont ressurgi et il est certain que les "Heiligen Halle",  la collection secrète de Mercedes recèle au moins un exemplaire de ces superbes machines. Il n'est qu'à voir la réponse ambigüe du constructeur lorsque j'ai demandé si la Pullman Limousine noire, celle-là même que l'on avait exhibée en 1962 aux côtés de la nouvelle 600 W100 était toujours dans sa collection. Il est vrai que même au musée de Stuttgart, plus de W150 à l'horizon, alors que les W07 de l'ex-Kaiser Guillaume II et de l'Empereur du Japon y sont exposées et mises en valeur.

En France, le Musée national de l'automobile (Collection Schlumph) de Mulhouse détient deux W150: le cabriolet D de l'avionneur Heinkel qui y est exposé et une Pullman Limousine en restauration. Cette dernière, que j'ai pu identifier comme ayant servi, à la Libération, au Ministre de l'Air et de la Reconstruction Charles Tillon, fut aussi celle d' Erich Koch, sinistre Commissaire du Reich en Ukraine. Le musée de Rochetaillée sur Saône détient un Offener Tourenwagen attribué à Hitler et sur lequel je reviendrai plus loin. En Espagne, le musée du palais royal d'El Pardo abrite le G4 et la Pullman Limousine du Caudillo, tandis que son Innenelenker Limousine est visible dans un des musées de l'armée situé à Torrejon de Ardoz (Province de Madrid). En Allemagne, trois Großer Mercedes sont visibles au Musée automobile et technologique de Sinsheim : un Offener Tourenwagen de la Chancellerie, un autre ayant servi à Ribbentrop et un Innenlenker prétendument destiné à Himmler. En Grande-Bretagne, la collection Wheatcroft détient un Tourenwagen actuellement en restauration chez Peter Spillner de Fahrzeugrestaurierung Rosenow, le maître en la matière. En ex-URSS dans des collections privées on connait l'existence de l'Offener Tourenwagen d'Ante Pavelic et deux Innenlenker de la Chancellerie. Aux USA, la voiture de Mannerheim et le cabriolet B sont conservées dans la collection du Général William Lyon tandis que la voiture de Von Falkenhorst est dans la collection Bob Bahre. Un autre Offener Tourenwagen est visible au Royal Automobile Museum d'Amann en Jordanie. La voiture du Dr Robert Ley est en Nouvelle-Zélande. Enfin, le Musée canadien de la guerre, à Ottawa, détient un authentique Offener Tourenwagen  « Hitler » dans lequel il fût souvent vu et qui était immatriculé IA-148697. Récemment encore, la IA-148461 de la mémorable parade de 1940 est réapparue lors d’une vente aux enchères.

Si les autres survivantes, quant à elles, sont soigneusement cachées des regards, on ne saurait clore ce chapitre sans évoquer à nouveau les deux W150 saisies par la 2ème DB de Leclerc lors de la prise de Berchtesgaden au printemps 1945.

La première est un véhicule authentiquement identifié comme une voiture de la Chancellerie portant le numéro IA-148696 et dans laquelle on vit Hitler lors d'une conférence à Salzburg. Pourvue d'une immatriculation de fantaisie, Z96 501, pour tromper la vigilance des américains, elle regagne la France avec le colonel de Boissieu pour être offerte à son beau-père, le Général de Gaulle, comme cadeau de Leclerc. Le grand homme la refuse et la fait remettre au Musée de l'Armée qui le cède à son tour à Victoire, une association venant en aide aux prisonniers de guerre et qui l'exhibe pour recueillir des fonds. Après avoir été exposée en France, Belgique, Hollande et Suisse, elle part aux USA où elle sera vendue dans des conditions douteuses en 1949, à un collectionneur de Philadelphie qui ne la fera plus paraître en public.

La seconde, au musée fondé par le grand résistant (il fut déporté et torturé) Henri Malartre à Rochetaillée sur Saône est un Offener Tourenwagen attribué à Hitler et qui en présente toutes les caractéristiques : siège avant droit surélevé et rabattable, poignée de maintien en haut du pare-brise, et blindage Aktion P. Il s'agit très probablement d'un véhicule revenu en usine pour être blindé. En effet, la voiture porte le numéro de moteur 189 789 correspondant au numéro de  carrosserie 849 503 et non au 863 802 observé sur la voiture du musée. Peut être parviendra-t-on un jour à l'authentifier comme véhicule utilisé par le dictateur, car en effet son numéro d'immatriculation IA-103708 n'est pas le bon, mais celui d'une W24 avec laquelle il est souvent confondu.

La descendance

Peu avant le début de la guerre, Daimler-Benz envisage de donner un successeur à la W150 et sous forme d’une douze cylindres. Les études donnent naissance à deux séries de prototypes en 1941 et 1942 : les Typ W148 et Typ W157 dont quelques prototypes furent construits. Le Typ 148 ou Mercedes 600 V, basé sur un soubassement de W150 disposait d’un V12 à soupapes en tête de six litres de cylindrée  développant 170 ch (125 kW) à 3600 / min entrainant la voiture à 160km/h. Une version suralimentée ou Mercedes 600K fût également mise au point. Compresseur Roots en fonction son moteur développait 240 ch (176 kW). Ainsi équipée, la voiture atteignait les 170 km/h en pointe. Quant au type W157 utilisant la même mécanique mais construit sur une base raccourcie il pouvait atteindre les 190 km / h. Mais en Mars 1942, par l’entremise du ministre Albert Speer, Hitler fit savoir à Daimler-Benz et de façon cinglante que l’heure n’était plus aux voitures de luxe mais aux productions de guerre et l’aventure s’arrêta là.

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